Marketing : légitimité horlogère ou historique ?

M. Joseph FLORES (alias Jojo) nous a très judicieusement relevé cet article (http://www.horlogerie-suisse.com/forum/viewtopic.php?f=1&t=12502&st=0&sk=t&sd=a&start=15#p119087), d'auteur non cité, qui AMHA© met très clairement en mots ce que je peux penser de la majorité des communications des "grandes" marques horlogères...
Au delà de Perrelet, qui est loin d'être la seule marque à prendre ses clients pour des pommes, quelques commentaires sur cet (AMHA©) excellent article ?

==> http://www.zewhiterabbit.com/2010/06/04/le-chateau-de-cartes-de-perrelet-sa/
Ze White Rabbit a écrit:Le château de cartes de Perrelet SA
par Ze White Rabbit | Vendredi 4 juin 2010
L’ère industrielle de l’horlogerie suisse vit éclore une multitude de marques dans la Watch Valley. La crise du quartz des années 1980 faillit laisser toute cette industrie sur le carreau si ce n’est pour quelques consortiums, marques et fournisseurs qui réussirent bon gré mal gré à survivre. Tout comme la dynastie du Danemark, la dernière en Europe à pouvoir revendiquer une ascendance ininterrompue remontant au XIe siècle, il restait quelques marques dont le prestige perdurait depuis plus d’un siècle. Dans l’univers de l’horlogerie, s’il est peu de marques qui peuvent se targuer d’une histoire ininterrompue, il en est encore moins qui peuvent se vanter d’être restées aux mains d’une seule lignée de gestionnaires depuis leur création. Rolex est la seule qui me vient à l’esprit (les suggestions sont les bienvenues).

Un deuxième âge d’or arriva, favorisé par la consolidation du Swatch Group, la conséquente disponibilité d’ébauches abordables étampées par ETA et un intérêt naissant pour la montre mécanique sur des marchés tels que l’Italie, l’Allemagne ou le Japon. Avant la crise des subprimes, le collectionneur recherchait avant tout une légitimité historique et la tentation était forte pour les spéculateurs, financiers et entrepreneurs d’exploiter une marque jadis réputée mais désormais endormie: une « belle au bois dormant ».

Arnold & Son, Badollet, Bovet, Breguet, Chronographe Suisse, Cuervo y Sobrinos, Dubey & Schaldenbrand, Enicar, Gevril, Graham, Guinand, H. Moser & Cie, Jaquet Droz, JeanRichard, Léon Hatot, Lip, Louis Moinet, Louis Erard, Marvin, Milus, Perrelet, Shellman et Vixa sont autant d’exemples de belles au bois dormant ramenées à la vie par le doux baiser de leur prince charmant.
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Abraham-Louis Breguet, que l’on met en avant comme le plus inventif des horlogers, est sans doute la « reine » des belles au bois dormant. Les droits d’exploitations de son nom ont aboutis dans l’escarcelle du Swatch Group sous l’œil attentif de Nicolas Hayek Senior, dont l’intention était d’en faire la marque horlogère la plus prestigieuse. La communication de Breguet SA s’étend aujourd’hui en long et en large sur l’histoire de l’horloger, mais il n’est peu ou prou fait mention des circonstances et de la date à laquelle les droits du nom ont été repris.
Un manuel d’histoire horlogère publié en 1952 par Alfred Chapuis et Eugène Jaquet attribuait à Abraham-Louis Perrelet quelques exemplaires non signés de montres à remontage automatique datant du 18e siècle. Les manuels d’histoire relatent également qu’Abraham-Louis Breguet « aurait racheté à son prédécesseur Perrelet de nombreuses pièces pour les améliorer ».
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Dans une logique de « la mienne est plus grosse que la tienne », un groupe d’associés obtint les droits d’exploitation du nom Perrelet et fonda Perrelet SA, une entreprise horlogère qui pouvait revendiquer une tradition, plus longue encore que celle de Breguet. Perrelet SA fit enregistrer la marque déposée « Inventeur de la montre automatique » en français et en anglais, pour bien faire rentrer dans la tête de l’amateur d’horlogerie toute la légitimité de cette marque.

C’était en s’appuyant sur la thèse de Chapuis selon laquelle Perrelet serait l’auteur de ces montres automatiques anonymes du 18e siècle.
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En 1993, au terme d’une recherche méticuleusement documentée (lire également cette discussion sur Wikipedia), Joseph Flores remit en question la thèse de Chapuis, qui était d’office relayée d’un ouvrage à l’autre depuis 1952 car considérée comme indisputable. Ces montres non signées ne seraient pas de Perrelet mais de Hubert Sarton, un horloger et inventeur citoyen de la principauté de Liège, territoire resté indépendant à travers l’histoire jusqu’à son intégration à la Belgique en 1830.

Chacun des relayeurs est évidemment embarrassé de reconnaître la thèse de Flores, ce qui reviendrait à avouer du bout des lèvres qu’ils n’ont pas consciencieusement fait leur travail d’historien avant de publier leurs ouvrages. C’est surtout la société Perrelet SA qui est embêtée, car si Perrelet n’en a pas une de plus grande que Breguet (de légitimité), c’est toute leur stratégie de communication qui s’écroule comme le château de carte qu’elle était.

Il ne reste plus à la thèse Perrelet que des présomptions, tandis que la thèse Sarton est soutenue par des documents d’époque dont la découverte fut relayée pas le journaliste horloger Gregory Pons sur son site Businessmontres.com.

De son coté, Perrelet SA continue la politique de l’autruche et continue à signer ses montres de la marque déposée « Inventeur de la montre automatique », comme sur leur collection récemment dévoilée: la First Class. C’est ce qui fait prend la mouche à Martin Péneau, l’éditeur du Blog des montres:

« …que Perrelet ignore aujourd’hui les travaux de Flores est inacceptable, et grave dans l’acier “Perrelet, inventeur de la montre automatique” et place cette maxime sous son logo est une publicité mensongère! » (viewtopic.php?f=1&t=12502&st=0&sk=t&sd=a#p118700)

Je pense que les actionnaires de Perrelet SA feraient preuve d’une grande maturité en admettant qu’ils ont misé sur le mauvais cheval et en ajustant leur communication à la réalité historique mise à jour. Cela n’enlèverait aucun mérite à leurs montres. J’ai eu l’occasion de prendre en main quelques modèles récentes, et Perrelet SA fait un remarquable travail de valeur ajoutée. Les mouvements sur base ETA sont complètement modifiés au niveau esthétique, et je ne doute pas qu’ils apportent la même attention à la mécanique et aux finitions de surface. Ce sont de très belles pièces qui valent leur pesant d’or, et selon la définition que j’ai expliquée précédemment, Perrelet SA mérite parfaitement le qualificatif de manufacture.
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De plus, les temps ont changé. Le collectionneur de l’avant crise des subprimes recherchait avant tout un pedigree. Avec la surenchère de l’offre des années de vache grasse (2002-2007), des concepts abscons tels que manufacture, nouvelle horlogerie et haute horlogerie ont changé la donne. Le collectionneur de montre ne place plus nécessairement la légitimité historique en premier, mais il recherche avant tout un objet à forte valeur mécanique ajoutée. Les horlogers morts et vifs restent très appréciés, mais les marques sans personnage ni héritage à mettre en avant n’en jouissent pas moins d’une aura: Bedat & Cie, Cvstos, D´Aguet, De Bethune, DeMonaco, Frederique Constant, Georges V, Hautlence ou Jacques Etoile sont autant de nouveaux venus de nulle part qui n’en rencontre pas moins de succès.

Ce qui m’interpelle, c’est que Flores s’était manifesté depuis 1993, et qu’entretemps personne n’a négocié avec les descendants d’Hubert Sarton les droits d’exploitation du patronyme de leur ancêtre. Il y a quelques décennies son descendant, lui-même horloger, partait en retraite. Il n’aurait pas été impossible d’attribuer un « rôle figuratif » à ce descendant au sein d’une nouvelle marque, comme c’est le cas pour Jack Heuer chez TAG Heuer, Walter Lange chez Lange & Söhn ou encore Roger Nicholas Balsiger chez H. Moser & Cie.

Quoi qu’il en est, Perrelet SA devrait probablement faire enregistrer la marque déposées « Second inventeur de la montre automatique » et commencer à l’utiliser sur ses montres. Mais à lire l’un des commentaires de Flores sur l’article de Péneau, l’erreur d’attribution ne serait que la pointe de l’iceberg: les documents d’époque font mention de plusieurs Perrelet(s) et d’un Perlet.

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