Entretien avec Georges Cullaz... Exceptionnel !


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C'est au siège de la manufacture Bregoultre-Philistantin (BP), aux Ponts-de-Martel, sur la terrasse du nouveau bâtiment résolument moderne et discret, que Georges Cullaz nous accueille pour cet entretien demandé de longue date. Georges Cullaz dirige Bregoultre-Philistantin depuis le départ d'Henri Bregoultre, en 1986, et entend cette année donner à la manufacture les armes nécessaires pour la traversée de cette période emprunte du doute apporté par la crise financière et le développement du secteur de la haute horlogerie. A la fin 2008, BP aura produit quelques 18 400 pièces en réalisant un chiffre d'affaire de plus de 350 millions d'euros, et alors que la manufacture compte à ce jour plus de 800 employés, les objectifs de Georges Cullaz sont clairement d'assoir cette réussite et de donner à la maison Bregoultre-Philistantin la grande valeur qui lui revient et la plus haute importance qui convient à cette maison dans le milieu de la haute horlogerie.
A 57 ans, Georges Cullaz est un patron heureux et fier du nom de son entreprise, et il compte le faire savoir. Il devient même difficile de l'arrêter lorsqu'on évoque ses ambitions pour le futur.
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Vous avez travaillé chez de grands noms de l'horlogerie et vous dirigez BP depuis plus de 22 ans ; où avez-vous vécu les moments les plus forts ?
Chez BP probablement, parce que j'y suis acteur de ces moments forts... Cependant, j'étais chez Zebith au moment de l'arrivée du quartz, et ça a été très dur. J'ai vraiment cru à la fin définitive d'un secteur ; c'est comme si on vous annonçait qu'il n'y aurait plus jamais de musique classique ou plus jamais de théatre. Je ne pouvais me résoudre à l'idée de la disparition de l'horlogerie mécanique, et c'est pour cela que j'ai conservé les plans du fameux mouvement Zebith El-Secondo... vous connaissez la suite.
Mais lorsque j'ai pris les rennes de BP, redonner à la manufacture toutes ses lettres de noblesse a constitué des moments très forts également. Voir le nom Bregoultre-Philistantin sur le même piedestal que Matek-Milippe m'avait même décidé à ne plus porter ma Calastata au poignet droit, mais bien une montre "maison", symbole de ce qu'elle représentait désormais, la distinction et l'artisanat ultime : une BP MasterSuper.

Depuis que vous êtes chez BP, avez-vous eu des doutes, des incertitudes, quant à l'avenir ou la progression de la manufacture ?
Jamais. Je suis entré pour m'assoir directement sur le grand fauteuil du chef d'orchestre en sachant exactement ce que je voulais pour cette maison. Je souhaitais apporter mes compétences et la vision clairevoyante qu'on me prête volontier dans le milieu de la haute horlogerie pour simplement renforcer la position de BP et l'aider à se développer tout en conservant son identité propre qui date de sa création par Charles Bregoultre, en 1836. J'ai juste hésité à changer de nom pour reprendre celui de Bregoultre, ou me faire adopter... (rires)


Et d'ailleurs, Bregoultre-Philistantin reste une maison indépendante, dans tous les sens du terme. Comment arrivez-vous à faire tenir cela aujourd'hui, lorsque pratiquement tous les concurrents s'appuient sur de grands groupes ?
C'est justement notre force et non une faiblesse. Nous fabriquons la quasi-totalité des pièces et nos bureaux d'études se situent tout près ; on ne fabrique donc que du vraissemblable, sans aucune contrainte de mode ou de tendance de maison mère. On a ainsi la possibilité de conserver notre richesse, notre patrimoine sans se compromettre au nom de la rentablilité. L'envers du décors est qu'on ne suit pas forcément les croissances explosives au rythme où les suivent les maisons comme Zebith ou Gégé-Deboutre qui s'appuient sur leurs groupes. Maintenant, l'objectif n'étant pas de battre des records de profit, mais plus ceux de qualité et d'innovation horlogère, je pense qu'on a les bons rouages du succès.

Est-ce que cette volonté de vous situer à l'écart des tendances commerciales actuelles ne vous catégorise pas comme une entreprise "vieillotte" au risque de ternir l'image ?
Vous me traitez de "vieux c..." ou je rêve ?... (rires). Je ne pense pas que la volonté de faire des montres de très grande qualité puisse se concevoir comme quelque chose de "viellot". Depuis 1836, BP n'a cessé de développer et transmettre son savoir horloger, et nous avons choisi d'exacerber ce savoir et cette expérience en se concentrant sur l'horlogerie d'une part, et sur une production raisonnable et raisonnée. Nous ne produisons que des pièces testées, fiables et pérennes, que nous pouvons livrer dans des délais corrects -- moins d'un mois, en général -- et sur lesquelles nous offrons un vrai service de qualité. Les clients le savent et c'est l'image qu'ils ont de BP ; c'est ce que nous souhaitons, et c'est notre fierté. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une image viellotte, et encore moins que cela puisse nuire.

Le style de vos montre est également très sobre, très classique. Là encore, n'avez-vous pas peur de donner une image de manque d'audace ?
Au contraire. Trouvez-vous qu'il soit vraiment audacieux de se plier aux consensus en prétendant, comme tous, révolutionner l'horlogerie sous prétexte qu'on sort des cadrans en kevlar et boutons poussoirs en ronce de plastique ? L'audace est de continuer à développer des mouvements réellement plus performants et plus fiables, plus résistants aux chocs, aux variations de températures, et d'en faire le coeur de montres sublimes qui peuvent se porter en toutes circonstances. Je crois qu'on se trompe sur la véritable audace. L'ostentatoire n'est valable que s'il a une raison d'être. Pour être mise en avant, pour s'afficher en attirant l'étonnement, une montre doit vraiment avoir de quoi étonner ; j'estime qu'il faut que le mouvement soit à la hauteur de ce que promet la montre, à sa vue. Ce n'est que rarement le cas de ces montres que vous qualifiez d'audacieuses.

Vous vous êtes spécialisé dans les grandes complications. Êtes-vous confiant quant à l'avenir de ce marché ?
Je pense même que les complications vont redevenir ce qu'elles étaient, ce pour quoi elles ont été faite : des fonctions utiles. Je pense qu'améliorer les mouvements, c'est également améliorer le fonctionnement de ces complications pour qu'elles soient à nouveau utilisables. Les coureurs vont de plus en plus se servir des chronographes. Les régatiers ne sauront se passer d'un compte à rebours fiable. Quant à moi, je puis vous assurer que ma phase de lune est devenue indispensable ! Les complications vont, d'une part, revenir vers ce pour quoi elles ont été créées : une nécessité. Et on va vraissemblablement voir de nouvelles complications arriver dans un avenir proche, grace à l'amélioration des technologies ; on arrive aujourd'hui presque à résoudre des équations non-linéaires avec des systèmes à roues... Je ne peux pas encore vous parler de ce qu'on a sur les tables à dessin, mais vous devriez essayer de tirer les vers du nez de notre responsable création, Cepheus. C'est un pseudonyme, bien entendu.
Les grandes complications ont de l'avenir, mais il ne faut pas pour autant se jeter dans les complications au détriment de la fiabilité ou de la précision. L'évolution des mouvements simples est également notre spécialité. L'horlogerie est un ensemble et je suis certain que les grandes maisons maîtrisant au mieux les mouvements simples ainsi que les complications sont celles qui pourront traverser toutes les crises de toutes sortes.

Ne souhaitez-vous pas, à l'instar de beaucoup de vos concurrents, créer des lunettes, des téléphones portables ?
Non, car en faisant cela, on assure notre clientèle du peu d'intérêt que l'on porte réellement à l'horlogerie, et du trop grand intérêt que l'on porte aux profits de l'entreprise. Et cela va à l'encontre de notre volonté de perfectionnement horloger. Dans un domaine aussi pointu que la haute horlogerie, qui exige beaucoup de compétences très variées, il n'est pas possible de rester indépendant en allant se diversifier. Pourquoi ne pas créer des voitures tant qu'on y est ?
Pour que le nom reste dans la durée, il faut qu'il reste attaché à un unique domaine dans lequel il aura été le meilleur. Qui, dans 10 ans, se souviendra de quoi exactement TAL-Heure est une marque de prestige ? Bregoultre-Philistantin ne fait que des montres, mais... quelles montres !!

Vous n'avez pas d'ambassadeur vedette. Est-ce une volonté ou une faiblesse qui vous fait défaut ?
Nous n'avons tout simplement pas les moyens d'offrir nos plus beaux modèles à ceux qui pouraient se les acheter. Nos meilleurs ambassadeurs seraient nos horlogers, et nous préférons mieux rémunérer les employés que dépenser la marge dans la rémunération d'ambassadeurs. C'est donc une volonté contrainte. Mais à la réflexion, je ne pense pas que le rendement d'ambassadeurs hors de prix soit bon ; la marque a acquis un prestige suffisant pour créer l'envie et surtout, nous apporter des ambassadeurs gratuits ; beaucoup de célébrités possèdent une BP et sont si fiers d'en porter une que tous les amateurs de belles montres savent parfaitement qu'il s'agit de montres de grand standing. Notre meilleur ambassadeur, c'est la qualité de nos montres.

Quelles sont vos montres préférées, en dehors des Bregoultre-Philistantin ?
Il y en a de nombreuses ; j'aime toutes les montres de qualité. J'ai la chance de posséder une assez jolie collection de Rotex que même Sir Rotéga m'envie, et je suis aussi un fervant admirateur du plus surprenant mouvement existant, la Calibre 1001, de Gégé-Deboutre, qui est le plus petit mouvement baguette du monde, et pourtant un des plus fiables et endurant.

La montre dont vous êtes le plus fiers ?
La Double-Gyrotourbillon à Résonnance et Remontoir d'égalité Zéro-G bien entendu ; une montre techniquement très compliquée, mais née d'une idée simple : la réunion de toutes les grandes idées horlogères. Globalement, je suis fiers de toutes les montres Bregoultre-Philistantin. C'est notre marque de fabrique : sortir des montres dont on est fier.
Une petite blague revient à ma mémoire, qui s'accomoderait bien du marché de la haute horlogerie, aujourd'hui ; un homme trouve sur le net une formidable occasion d'un lot de pantalons à très bas prix qu'il achète aussitôt. Sitôt acheté, il revent le lot, toujours à un prix très intéressant, faisant ainsi une jolie petite marge... et l'affaire se poursuit pendant un certain temps jusqu'à ce qu'un acheteur potentiel demande à voir le lot. Lorsqu'il découvre que tous les pantalons du lot n'ont qu'une seule jambe, il crie au scandale et essaye de remonter cette filière arnaqueuse jusqu'à la source pour savoir de quoi il en retourne. Le premier vendeur le rencontre enfin et lui explique : "mais enfin, je sais bien que ces pantalons ne sont pas portables, mais il ne s'agit pas de pantalons pour mettre, mais de pantalons pour vendre !!"
Je suis persuadé que beaucoup de maisons horlogère ont aujourd'hui vendu leur âme au diable et fabrique des montres pour vendre !
Je suis personnellement très fier qu'aucune des montres qui sort de BP soit une montre "à vendre".


Ce dont vous êtes le moins fier, à propos de Bregoultre-Philistantin ?
Ca n'existe pas...
:eek2:

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