Trois p'tites roues et puis s'en vont.


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M’ouai…
On nous dit : la montre, c’est le plus petit mécanisme de précision existant. C’est de la haute technologie, tout ça, patin-couffin. Oui, certes… certes…
Mais bon, j’ai regardé et c’est, somme toute, assez simple : si on prend une montre de base, affichant juste l’heure et les minutes… bon… ben… c’est un ressort moteur dans un barillet avec des petites dents qui se déroule entraînant tout un train de rouage qui est freiné par un système qu’on appelle échappement qui permet à ces roues de tourner à une vitesse contrôlée.
Une montre, c’est rien que ça !!
La seule partie qui me semble délicate là dedans, c’est l’échappement, car le ressort moteur, c’est rien qu’un ressort comme on en trouve dans tous les jouets de l’époque de ma grand-tante et les roues, c’est des petits engrenages dont on a préalablement calculé le diamètre et le nombre de dents pour qu’en fonction de l’échappement, la première fasse un tour en une minute, la seconde en une heure et la dernière en douze heures. C’est pas sorcier, comme dirait Jamy !
L’échappement, lui, est un tantinet plus subtil : il est constitué d’un balancier qui oscille, ou balance comme le suggère son nom, à une fréquence maîtrisée pour transmettre cette fréquence aux engrenages par l’intermédiaire d’un petit dispositif – le plus souvent une ancre - qui, en même temps, lui redonne un peu d’impulsion. C’est pour cela qu’on l’appelle « échappement » : un peu de l’énergie du ressort moteur transmise aux engrenages s’échappe dans le balancier sous forme d’impulsion, à chaque oscillation. La principale difficulté, en fait, est de faire en sorte que le balancier oscille régulièrement et à une fréquence bien déterminée. Parce que pour le reste, en tâtonnant, on finit par trouver comment fabriquer une ancre et la roue (dite « d’échappement ») qui va avec.
Donc, le génie horloger semble bien contenu dans le balancier, et le reste n’est que bouts de métal taillés, et même pas à la main.
Si ce n’est que…
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En fait, j’ai réflexionné un peu plus dans mon bulbe interne. En y repensant plus avant, le ressort moteur, il faut quand même qu’il soit assez costaud pour délivrer suffisamment de couple pour permettre à une montre de fonctionner assez longtemps pour que la fréquence de base ne soit pas celle à laquelle on remonte la montre. Donc ce ressort moteur n’est pas aussi simple que ceux des jouets de ma grand-tante Edmonde. Ou alors les frottements du barillet et des roues sont si faibles que le ressort peut se dérouler vraiment jusqu’au bout du bout du bout. Et c’est pas gagné, même en y mettant de l’huile, pour aider. Ou de la graisse. Mais l’huile, ça salit, ça se gomme, et surtout, ça suffit pas. D’ailleurs, il semble bien que les rubis ne sont pas là pour rien : on les met pour diminuer au maximum les frottements.
Et l’usure…
Non, parce que l’usure c’est aussi quelque chose d’important. Vu la taille des composants, un simple grain de poussière représente plus qu’un scrupule aux yeux d’un axe de balancier. Et puis, pour l’usure, il faut voir avec les matériaux… Parce que le laiton, c’est bien, mais ça convient pas pour tout ! Imaginez par exemple que la fourchette de l’ancre va cogner environ 28800 fois par heure dans les goupilles, soit plus de 250 millions de fois chaque année : le laiton risque d’être un peu trop mou, non ? Et puis aussi, pour limiter le frottement et l’usure entre les engrenages, la forme des dents a une certaine influence. Faites l’essai en images de synthèse et vous comprendrez le profil à développante de cercle ou épicycloïde … la norme NIHS ou encore « spyr »…
Enfin, chaque angle droit dans les composants de la montre risque d’être source de barbes accrochant tout ce qui flotte dans les parages. Il faut donc arrondir pour limiter les dépôts : angler, polir, perler, etc. Et quitte à faire tout ça, autant que ce soit beau.
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Bon, certes, c’est pas tout à fait aussi simple que ça en a l’air…
Mais alors, pour ce qui est de l’échappement, ça se complique bien d’avantage. Le balancier doit osciller régulièrement… très régulièrement même… voire très très régulièrement… Mais la montre va être soumise aux changements de température, aux changements de champ magnétique (vous enlevez votre montre pour ouvrir votre frigo, vous ?), aux changements de pression atmosphérique, aux changements… Hmmm… et aux chocs ! Même si vous ne jouez pas au squash avec votre montre au poignet, vous la gardez bien au concert d’Aldo Ciccolini que vous applaudissez à tout rompre, non ? Là encore, quel métal pour le balancier ? Contraintes : une grande inertie, donc une circonférence lourde et un grand diamètre. Mais plus c’est grand, plus c’est dur à faire osciller vite, ou du moins à limiter l’usure. Mais mathématiquement, plus ça oscille vite, plus l’erreur est négligeable, mais aussi, plus ça oscille vite, plus il y a de possibilités d’erreurs… En gros, plus ça pédale moins vite, moins ça se dégrade plus vite. Tout est affaire d’ingénierie de haut niveau. Et puis, il faut que le spiral qui lui sert à osciller soit fiable, lui aussi. Là encore, c’est pas donné ! Ca demande quelques recherches, malgré tout, rien que pour le régler. Vous savez comment calculer un spiral ? Hmmm ?!
Pour pallier les perturbations magnétiques, un casse-tête quant au choix du ou des matériaux pour le spiral, le balancier, etc. Pour pallier les changements de température, un casse-tête supplémentaire sur les matériaux se dilatant ou se contractant à la chaleur. Pour pallier les contraintes de l’usage quotidien, encore un casse-tête pour amortir, pour compenser, pour minimiser, pour fiabiliser…
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Oui, parce qu’avec tout ça, la montre doit fonctionner tout pareil pendant longtemps… très longtemps … pendant très très très longtemps… Certaines marques parlent même de fonder une tradition (sauf que celle qui l’a faite n’est pas la même ; comprenne qui pourra), mais bon : il s’agirait sans doute d’un peu de discours marketing. Quoi qu’il en soit, dans longtemps, il y a rouille. Dans longtemps, il y a usure aussi, voire rupture. Dans longtemps, il y a déclin, vieillissement, décatissage, délustrage, etc. Et donc, il faut prendre tout ça en compte pour que longtemps après sa fabrication, la montre soit comme au premier jour, toujours aussi chère à son propriétaire, et surtout… chère aux yeux de Sotheby’s !
J’allais presque oublier, dans tout ça, que la montre doit être pratique ; il faut pouvoir facilement la mettre à l’heure, la porter en toutes circonstances ou presque, etc. Encore quelques lignes de plus dans un cahier des charges déjà bien gros et dense.
Et il n’est encore question que de montrer l’heure et les minutes.
Alors imaginez ma surprise lorsque j’ai posé mes yeux sur cette merveille horlogère à quantièmes perpétuels… La montre, c’est bien le plus petit mécanisme hyper-complexe, résultant du génie humain dans une somme de domaines proprement hallucinante, des mathématiques à la métallurgie en passant par l’astronomie et la chimie, la tribologie et tous les métiers d’art. Et dire que les musées horlogers sont rares !
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