Tout petit et plein d’étoiles dans les yeux…



Imagennocent, je rêvais de montres fabriquées avec l’amour d’horlogers à l’inégalable métier qui, presque seuls, concevaient, produisaient, assemblaient et ajustaient ces merveilles de mécanique avec une passion à la hauteur de l’enthousiasme du client. Rolex, une industrie ?! Qu’importe, si c’est une armée de ces horlogers passionnés !
Je croyais naïvement que si l’on continuait à fabriquer des montres mécaniques aujourd’hui, alors qu’on peut produire des montres plus précises, plus fiables, plus robustes et tout aussi belles extérieurement pour moins du centième du coût d’une mécanique, grâce à l’électronique et au quartz, c’est en hommage à une tradition, parce qu’en la portant, le client aura sur lui un concentré du génie humain, l’aboutissement de ce qu’il est capable de faire, à la fois beau et merveilleusement mécanique, lorsque le besoin le pousse à se dépasser intellectuellement et manuellement, parce que la montre mécanique confère au sublime lorsqu’elle confronte à son porteur les centaines d’années du développement talentueux des plus grands horlogers. C’est ce que je croyais. Mais je devais avoir un souci à l’imaginatif.
Les copains me disaient : « Farid… on veut bien que tu sois naïf, mais sois pas niais quand même ! »
Mais en fait, j’étais bien niais. Vous savez ? Comme ces personnages à la fois désespérants et attachants des séries comiques américaines, incapables de mettre une idée devant l’autre dans le bon ordre. Comme Pee-Wee !
Je croyais que chez Jaeger-LeCoultre, chez Omega, chez Longines, on concevait les montres dans leur ensemble, depuis le premier croquis issu de l’imagination fertile de la direction jusque dans la réalisation de toutes les pièces avec des machines bien spécifiques comme des tours, des potences ou des fraiseuses. J’imaginais des salles d’angleurs, de graveurs, d’émailleurs, de guillocheurs et autres artistes. Je pensais que chaque montre produite était assemblée, réglée et ajustée par un même maître horloger, un peu à l’image des vieilles machines à coudre Singer qui portaient la signature de celui qui était responsable de sa fabrication. Et ainsi, ce même maître horloger pouvait retrouver, pour le service après vente, toutes les caractéristiques spécifiques de la montre influant sur n’importe quelle réparation potentielle : un balancier un peu déséquilibré… une ancre aux palettes trop enfoncées… une pierre un poil trop petite…
Pfffffffff… Les copains rigolaient. De moi.
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Alors je suis allé voir car, comme disait Saint Thomas le taquin : je n’entends que ce que je vois. J’y suis allé. J’ai vu ! Et maintenant, je sais… Les copains ne rigolent plus. Moi non plus.
Bêtement, je prêtais aux publicités et discours marketing des grandes marques horlogères un fond de vérité comme il est vrai que le nouveau Skip lave quand même plus blanc. Patek-Philippe, dans mon esprit, regorgeait de ces vieux horlogers au savoir-faire à peine croyable.
Mais non ! A l’usine de cette marque qui parle de tradition, on y trouve les mêmes que chez ce constructeur automobile qui aurait inventé le travail à la chaîne, ceux qui vous diraient « vous savez, moi… travailler ici ou fabriquer des mixers pour les ménagères de plus de 50 ans… ». Alors j’ai pleuré… Un peu. Puis, mes illusions envolées, je me suis rattrapé à l’apparence de ces montres malgré tout bien facturées ; je ne saurais trouver de meilleur terme.


En effet, si les montres mécaniques sont aujourd’hui conçues, fabriquées, assemblées, testées et distribuées par des moyens technologiquement avancés, ne nécessitant plus ce travail manuel qui donnait du sens à l’appellation «Manufacture» de ces grandes maisons horlogères, il reste qu’on peut encore y trouver ce supplément d’âme qui ajoute à la qualité globale. Même si c’est une denrée qui disparaît progressivement au profit… du profit !
La qualité des montres n’est pas à remettre en cause : verre saphir… boîtiers anti-allergéniques… guillochages parfaits… réglages optimisés… les montres sont éventuellement plus solides, plus précises, mieux finies et plus clinquantes qu’elles ne l’ont jamais été. Et pourtant, elles sont moins belles, et ça se voit. Trop parfaites. Tristes. Froides.
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Si l’on excepte quelques trop rares génies mêlant encore la créativité intellectuelle au métier (au sens premier) d’horloger qui leur fait concevoir des pièces s’adressant presque directement aux musées, une certaine hiérarchie semble s’être installée dans les marques industrielles qui fabriquent pourtant toujours des montres technologiquement désuètes ; elles ne font de montres bientôt que pour des raisons financières. Prostitution intellectuelle. Or si l’argent est une motivation croissante, "la nécessité est la mère de l’invention" (Platon).
Certaines marques sont passées du côté obscur : elles ne s’intéressent désormais plus véritablement à l’horlogerie. D’autres continuent de jouer avec ces merveilleux outils de création virtuelle et sortent des garde-temps qui défient toute démarche logique liée à l’essence même de l’horlogerie ; on crée parce qu’on peut le faire ! D’autres encore tentent désespérément de respecter cette tradition séculaire avec des éléments à l’esthétique d’antan, mais faits autrement, ce qui laisse paraître le paradoxe du désuet utile à l’harmonieux. Certains, enfin, essayent de faire comme si l’horlogerie mécanique ne s’était pas éteinte et que l’âme des grands maîtres d’autrefois s’était réincarnée dans les dirigeants d’aujourd’hui, avec leurs technologies actuelles ; la gageure est de créer des montres résolument modernes, novatrices et traditionnelles. Le génie horloger est alors porté davantage vers l’intellect mais la nécessité de conserver à la montre son intégrité oblige son créateur à posséder le même métier que les Breguet, LeCoultre et autres grands noms qui sonnent comme des légendes. Et ça se voit.


En somme, les temps ont changé. Si on n’achète plus une montre mécanique pour les raisons qui étaient encore valables avant les années 70’, elles ne se produisent plus non plus de la même façon, et pas seulement parce que les techniques ont évolué mais aussi parce que l’essence de leur production n’est plus la même… le plus souvent. Comment retrouver aujourd’hui un de ces garde-temps dont on ne peut, tant il contient du souffle de son créateur par les quelques imperfections visibles aux finitions, distinguer s’il s’agit d’art ou d’artisanat ? Avant d’acheter du rêve, soyons sûr qu’il ne se teinte pas d’un peu du cauchemar de cette société de sur-consommation.


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(Photo : Steyr)