J'aime... j'aime pas...


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J’suis allé au salon des montres qui font comprendre que si tu te trimballes encore avec une Cazio au poignet, c’est que t’as pas encore réfléchi aux choses importantes de ta vie. J’y suis allé avec mon poteau Bertrand, que j’appelle Berty, parce qu’il s’y connait, lui, en montres à roulettes mécaniques.
En s’promenant des les allées pleines d’azalées, zieutant à chaque stand les tocantes de malade qui s’affichaient comme si c’était des pépites de billets de banque, le Berty y m’a conféré quelques connaissances en ce que ces montres c’est des objets d’art un peu comme des bijoux d’gonzesses, mais aussi pour les mecs, et qu’en plus c’est un témoignage d’une tradition de fabrication, d’un savoir-faire, de tout ça tout ça, qui fait que c’est vachement d’la balle.
Alors j’me suis dit que ça s’rait intéressant d’y voir de plus près et de m’faire un avis. Et on s’est avancé à l’intérieur d’un stand, en direction d’une hôtesse mâle (j’sais pas comment c'est qu’on dit) qui était en faction pour présenter ces merveilles.
Le gars, y s’approche de mon pote avec un air… majuscule (peux pas dire mieux), en lui montrant la dernière nouveauté de la marque « Langine & Fils », le menton haut, le regard altier, et de dire :
- "Admirez cette somptueuse pièce qui commémore le bicentenaire de la révolution de la Terre sans révolution… sa roue à colonne et ses vis bleuies façon méthylène lui confèrent un traditionalisme majestueux que le cadran en émail guilloché à la main par des muets-manchots ne saurait contredire…"
Mon pote, ne voulant pas passer pour un nicolas, a tourné 17 fois sa langue dans sa poche avant de répondre :
- "L'équilibre esthétique de la montre lui fait cruellement défaut, mais j’admets un travail non discutable sur la finition."
Et ça ne voulait rien dire ! L’homme-hôtesse nous a regardés comme un poisson qui s’demande si on essaye pas de l’mettre en boîte, et la discussion ne s’est pas entamée comme je l’aurais voulu. Le fait est que discuter si on aime une montre ou pas, c’est comme tenter d’expliquer le jeu de cache-cache à une autruche.
C’est vrai : on peut dire qu’on aime certains trucs et pas d’autres. On peut dire que tel ou tel style, c’est pas sa tasse de thé. Mais tout ça c’est très personnel et si on n’aime pas les p’tits bouts d’oignon dans la salade, ben l’aut’ il aura beau expliquer que c’est des top-oignons venus des hauts plateaux d’Amazonie, pour moi ça reste la gerbe !
Sauf que… Bizarrement, j’aime bien les p’tits bouts d’oignon depuis quelques temps. Surtout ceux des hauts plateaux d’Amazonie ! 
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En gros, ça veut dire qu’aimer ou pas aimer, c’est relatif. Relatif aux personnes, pour sûr, mais aussi relatif à leurs connaissances au moment où ils se posent la question. Relatif à ce qu’ils ont bouquiné, à ce qu’ils ont déjà vu, aux explicances qu’ils ont déjà assimilées, aux avis de ceux qui les côtoient, de ceux qu’ils admirent. Relatif à leur degré d’érudition dans le milieu concerné.
Déjà, moi j’croyais qu’une montre, c’était rien qu’un machin moche qu’on s’accrochait au poignet cause que c’était plus pratique que d’se coltiner une pendule autour du cou (pléonasme) comme un rappeur de rien. Or nenni : il n’en est point ! C’est aussi un bijou. Ca doit être beau. Ca doit se porter comme qu’on porterait sa gourmette en ostentant l’objet par des petites secousses sous l’nez des potes zéberlués. Ca doit être classe. Mais aussi, ça doit quand même être utile et donner l’heure à un moment ou à un autre, et pour ça, ça doit combiner art plastique et ingénierie micro-mécanique façon compagnons du tour de Suisse. Comme l’ébénisterie. Et ça, c’est pas aussi simple qu’un bijou de base avec un gros caillou sur la rondelle en dorure de platinium et ronce de PVC, ou comme un tableau, une musique… Une montre, ça doit être beau PARCE QUE ça associe l’esthétique d’une œuvre d’art à l’exploit technologique d’une fonctionnalité.
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Alors le Berty, y m’a confectionné un p’tit programme d’apprentissage de la montre pour que j’pige celles qui sont belles de celles qui sont pas belles, et c’est pas simple, surtout pour mon bulbe acrobatique ; le tout, pour des montres mécaniques cause que celles où t’as une pile, le côté technologique se résume à de l’électronique et que j’allais pas admirer mon téléphone portable.
Des bouquins… des catalogues… des fora… des sites internet… j’en ai parcouru des media pour zieuter, comparer, admirer, comprendre. Et v’là qu’aujourd’hui je suis au salon des top-modèles de poignet à tenter de discerner, avec mon troisième œil tout neuf, l’ivraie des bobards, ainsi que le beau du beauf. Mais cette fois, j’ai le bagage culturologique qui me permet de voir les choses autrement… et mon Berty !
J’commence à distinguer, et surtout apprécier, la qualité d’un travail bien fait, le soin apporté aux détails, aux finitions, à la cohérence, à tout ce qui fait qu’une montre a été conçue non pas pour être vendue à un max de gugus, mais parce qu’elle est l’œuvre inspirée, même faite entièrement par des machines, d’un groupe de p’tits gars talentueux et au bon goût du beau. Toutefois, le travail n’est pas tout : il faut de la cohérence et du beau, le genre qui te remue les entrailles où que tous tes organes y s’exclament « wouaw ! » tous à la fois. Et ça, c’est pas évident. 
Non… pas évident du tout, car il y a plein de pièges. C’est comme qui dirait la foire au tout et n’importe quoi dans l’exhibance de ce luxe d’avant-bras : y a des montres d’une beauté rare et extraordinaire qu’on dirait qu’il faut même pas la regarder tellement elle en jette… pas !... et il y a des gardotants (y paraît qu’on appelle ça comme ça) qui te brûlent la rétine à force de clinquer, mais où qu’le Berty y m’dit qu’est beau comme une Fuego avec l’autocollant « The Jacky Touch ».
Il n’existe pas de repère autre que ton goût une fois emprunt de l’expérience du savoir horlo-culturel.
Le prix est très souvent élevé pour donner de la valeur à ce qui en manque férocement ; "si c’est cher, c’est forcément que c’est du beau" songe le gobe-mouche ! Les complications s’empilent pour illustrer perfidement un savoir faire horloger dont les clients n’ont souvent pas la moindre idée de quoi ça s’agit : une carte du ciel par ci, un temps sidéral par là et hop !, en quelques roues supplémentaires, on fait la montre la plus fallacieusement complexe de l’univers du monde. Des diamants, de l’or, du platine et autres matériaux que même sur la lune, y ont pas osé tellement c’était spécieux, et voilà que votre montre est censée resplendir de cette aura de laboratoire comme aucun homme intelligent sur Terre n’avait osé en cauchemarder jusqu’ici… bref, votre repas horloger se compose très souvent de beaucoup de couleuvres.
Alors le programme de Berty, et ben il m’a ouvert les yeux sur quelques réalités simples à comprendre et à appliquer. Une montre, avant toute chose, c’est… une montre ! Même si ça ne sert plus tout à fait à donner l’heure, ça reste son essence : plus elle est précise, mieux c’est. Les complications doivent trouver une véritable origine dans une volonté, même passée, de répondre à un besoin que rien d’autre ne pouvait combler, et l’assouvir de la meilleure façon possible ; faire un chronographe dont on ne peut pas lire le temps écoulé ou une transmission par courroies tient plus du marsupilami que de la haute horlogerie. Et à propos de facture horlogère : Le surnom du célèbre horloger qui fait ses mouvements en or n’est-il pas « l’homme qui murmure à l’oreille des pigeons » ? C’est bien beau de faire du beau, mais si ça marche pas, c’est tout de suite moins beau. Ou faire si compliqué que tout ne tient pas autour du poignet… Ou faire très original que plus personne n’y comprend plus rien… ou faire si avant-gardiste que la montre en oublie d’être une montre… Ou simplement de faire si traditionnel qu’il n’était pas nécessaire de le faire sachant que ça avait déjà été fait, souvent mieux…
Le goût, j’le conçois maintenant, grâce à Berty, ça s’éduque !
Avant, j’me pâmais face à un Unitas squeletté dans une boîte frisée à l’ancienne avec une couronne comme un champignon de L’Île Mystérieuse. Maintenant, j’admire une Rolex pour ce qu’elle est, une très bonne montre industrielle, simple et solide à la fois. Avant, je m’enfiévrais pour la montre du découvreur de l’amérique de technologie inspirée par les chronomètres de marine… maintenant, je fais rire mes gamins avec cette histoire. Avant, je béais devant la montre en bakélite de strontium au cadran peint par les femmes girafes. Maintenant, je comprends pourquoi la plupart des montres G.Daniels sont dans des musées. Et mes rêves en sont enfin de vrais.
En somme, pour discerner une belle montre, il suffit de se demander si -- peu importe son prix -- vous l’offririez à celle ou celui à qui vous voulez VRAIMENT faire un beau cadeau… D’ailleurs, le collier de nouilles que vous avez fait, tout petit, n’avez-vous pas eu envie de vous assurer qu’il était le plus beau possible ? …et ainsi, n’avez-vous pas approché cette idée que pour faire du beau, il faut nécessairement y mettre à la fois du travail, de l’expérience (du métier) et du sentiment ?
Merci Berty,j’pense que j’ai compris.
En 2012, j’achète une… :?: 
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